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L'art porte-t-il un masque?

Écrits sur l'art
L'enfance de l'art
La spirale
L'art... un masque?
    L’artiste n’est pas une personne d’une espèce différente,
    mais toute personne est une différente espèce d’artiste.

    Éric Gill, philosophe.

La première vertu d’un artiste, c’est son unicité. Toute œuvre d’art est différente de toute œuvre d’art, parce que tout véritable artiste est unique. L’artiste est unique dans la mesure où il crée une image à sa ressemblance. C’est en cela que son œuvre fait la différence. Créer, c’est essentiellement tirer du néant et mettre au monde quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’existait pas, qui était voilé, masqué. Comme le monde de l’art est un langage encodé de secrets à décrypter, de mystères nécessaires et de révélations que même l’artiste ne saurait cerner, paradoxalement, toute œuvre d’art, simultanément, voile et dévoile, masque la réalité, le connu, et démasque le rêve, l’inconnu. Autrement dit, créer, c’est accoucher d’une vision de son propre mystère et de celui du monde en jetant des ponts entre le visible et l’invisible, entre l’audible et l’inouï, entre l’être et le non-être.

En art, la question n’est pas d’être ou de ne pas être l’auteur exclusif de l’œuvre. La réponse est d’être ET de ne pas être l’œuvre. Créant, tout ce qu’il m’a été donné de voir dans ma vie est en suspens au-dessus, au-dessous et autour de moi. C’est pourquoi, lorsque je crée, je suis de ce monde comme n’y étant pas. Où suis-je alors ? Je suis ailleurs, dans une autre dimension de la réalité, dans un autre monde, parallèle à celui-ci. Et pourtant, pendant que tournent les aiguilles de l’horloge, je suis bien là, devant ma toile. Est-ce bien moi qui peins ? J’ai toujours l’impression que, consciemment, je ne peins que la moitié de la toile. L’autre moitié, c’est elle qui se peint à travers mon inconscient, mon intuition : c’est elle qui me peint. En cela réside tout le merveilleux du mystère : je sais ce que je peins à 50%, l’autre 50%, je le sens, le ressens, le pressens.

Il y a ceux qui disent que la gestuelle spontanée, c’est l’art véritable et ceux qui prétendent que l’art doit être sous la totale gouverne de la raison. En réalité, la créativité fait appel à la fois à la logique du cerveau gauche, rationnel et analytique, qui organise et stabilise un ordre nécessaire et à l'intuition du cerveau droit, spontané et synthétique, où l'imagination est au pouvoir, dérangeant l'ordre établi mais réinventant le monde. En ce qui me concerne, entre la rive de la réalité et celle du rêve, ce qui me fascine, c’est le fleuve de la vie qui coule. Peu m’importe si j’ai raison ou si je rêve. Ce qui m’intéresse, c’est le pont que je jette chaque fois entre les deux rives de mon être : ma raison et mon intuition. Et peut-être que tout mon être n’est qu’une rive du réel et que l’autre rive, c’est le monde, la société dans laquelle je vis. En ce cas, ma créativité devient le pont que je jette entre mon monde et celui des autres. Traverser le pont, c’est aller à la rencontre de l’autre pour lui transmettre l’essence de mon identité, lui signifier la spécificité de ma présence et attendre sa reconnaissance, l’écho de sa perception de mon monde,

Pour se dévoiler au monde, l’artiste procède par analogies, par symboles. Le symbole, du grec sumbalon, signifie : morceau d’objet partagé entre deux personnes pour servir de moyen de reconnaissance. C’est parce qu’il a pour ressort le symbole, qui cache souvent la moitié du message qu’il révèle, que l’art est le moyen de communication le plus secret et le plus lumineux.

Chacune de mes toiles est un symbole. Lorsqu’un regardeur identifie dans ma vision du monde ne serait-ce qu’une partie de la sienne, les deux morceaux du symbole sont réunis et le pont jeté entre nos différences nous permet de rencontrer nos ressemblances. Ainsi évolue l’humanité dans le partage des visions. Et tout cela grâce à une image (la toile) qui favorise le transfert de la vision de l’artiste à celle du regardeur. C’est ainsi que l’œuvre prend sens, qu’elle dévoile une partie de son mystère. Alors la toile ne m’appartient plus. Maintenant, elle n’a de sens que pour celui, que pour celle qui la regarde, entre dedans et la recrée selon sa propre vision. Ma toile est ma toile et elle ne l’est plus. C’est le regardeur qui dévoilera le rêve qu’elle porte.

L’image la plus précise que je puisse me faire du processus créatif est celle de la lumière dont la définition est un paradoxe. En physique, le principe universel de complémentarité de Niels Bohr postule que la lumière est en même temps une particule, un objet déterminé occupant un lieu précis dans l’espace, et une onde, un objet non localisé dans l’espace mais se propageant indéfiniment. Et comme le principe d’incertitude du physicien Heisenberg stipule qu’on ne peut mesurer simultanément la position et la vitesse d’un électron, ainsi en art, si la particule, objet réel, identifiable, est la toile, support matériel de l’œuvre, l’onde, immatérielle, c’est l’imaginaire de l’artiste, le champ infini des possibles que lui ouvre son intuition.

Toute œuvre digne de ce nom, d’une part, démasque la réalité, et de l’autre, la masque, et plus particulièrement si l’œuvre est non figurative. La part de la réalité qui est démasquée correspond à l’intention qu’a l’artiste d’exprimer sa présence au monde. Et celle qu’il cache, témoigne de son exploration de mondes parallèles ou de plusieurs autres dimensions de la réalité. Bref, si une œuvre ne porte pas le masque d’un certain mystère, c’est qu’elle a peu de rêves à dévoiler.

Raôul Duguay

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